Le super cerveau de votre enfant: le langage

Mar 25, 2021 | apprentissages

Quel merveilleux outil que le langage ! Grâce à lui votre bébé qui ne peut que pleurer pour exprimer son inconfort ou son désaccord va bientôt pouvoir exprimer ses envies, ses besoins, ses questionnements. Quelles compétences immenses cachent nos enfants pour parvenir, en quelques années, à intégrer le langage complexe qu’est le nôtre ? Comprendre les mécanismes utilisés peut nous aider à l’accompagner au mieux dans son apprentissage mais aussi à prendre conscience des capacités immenses de nos enfants, dès leur plus jeune âge.

Nous essayons en permanence de tirer, d’une situation particulière, des conclusions de haut niveau, qu’en retour nous mettons à l’épreuve sur de nouvelles observations. C’est une caractéristique innée de l’espèce humaine.

C’est cette base qui va permettre, entre autre, à notre enfant d’acquérir le langage.

Oh regarde le papillon !

Il suffira souvent à votre enfant d’entendre deux ou trois fois ce mot pour savoir à quoi associer le mot papillon et l’intégrer à son vocabulaire. Et pourtant, comment votre enfant fait pour comprendre à quoi l’associer ? Savoir que papillon ce n’est pas l’arbre ou l’odeur qu’il sent ? de nombreuses choses sont présentes alors comment sait-il que le papillon est ce joli insecte coloré qu’il voit voler ? Et papillon est un exemple plutôt simple au vu de toutes les notions complexes que contient notre langage. Comment arrive-t-il à savoir ce que signifie penser ou comment finit-il par comprendre qu’il doit utiliser « je » pour parler de lui-même alors que chaque fois qu’il l’a entendu ce n’est pas de lui qu’on parlait ? Aucune machine n’est capable d’égaler cette performance, les meilleures programmes informatiques auront besoin de milliers d’occurrences pour apprendre le mot papillon, votre enfant seulement quelques une !

Avant même d’apprendre les mots, l’enfant possède une sorte de langage de l’esprit avec lequel il peut formuler des hypothèses très abstraites, et les mettre à l’épreuve. De plus, si un enfant apprend aussi vite le sens des mots, c’est qu’il sélectionne parmi l’ensemble des hypothèses possibles en se laissant guider par toute une panoplie de règles de haut niveau – des métarègles qui accélèrent massivement l’apprentissage.

  • Toujours privilégier l’hypothèse la plus petite qui soit compatible avec l’ensemble des données. Pour prendre un exemple, lorsqu’un bébé entend sa maman dire « regarde le chien », rien n’exclut que le mot « chien » fasse référence à ce chien-là en particulier (Médor) – ou, à l’inverse, qu’il signifie n’importe quel quadrupède, mammifère ou même animal. Comment l’enfant découvre-t-il la véritable signification de ce mot : seulement les chiens, mais tous les chiens ? Des expériences suggèrent qu’il raisonne en bon logicien, en testant toutes les hypothèses mais en ne conservant que la plus étroite qui colle avec ce qu’il a entendu. S’il n’entend le mot « chien » que dans un seul contexte, il peut, temporairement, croire que ce mot ne réfère qu’à un animal unique, ce chien-là mais dès qu’il en voit deux, il peut en déduire que ce mot renvoie à toute une catégorie. Un modèle mathématique de ce processus prédit qu’il suffit de trois ou quatre instances pour converger vers la signification d’un mot.
  • En général celui qui parle fait attention à ce dont il parle. Grâce à cette règle, le bébé peut réduire considérablement son espace de recherche. Il n’a pas besoin d’entendre papillon des 10aines de fois et de constater que ce qui est présent à chaque fois est ce petit insecte coloré. Il lui suffit de suivre le regard de ses parents, ou la direction de leur doigt, afin d’essayer de comprendre de quoi ils parlent : c’est ce que l’on appelle l’attention partagée, un principe fondamental de l’apprentissage du langage.
    L’expérience a été faite : prenez un enfant de 2 ou 3 ans, mettez-le en présence d’un jouet nouveau, et d’un adulte qui dit : « Oh, un wog ! » Il ne faut pas plus d’un essai pour que l’enfant retienne que « wog » est le nom de cet objet. Maintenant, composez la même scène, sauf que l’adulte reste muet, c’est un haut-parleur situé au plafond qui dit : « Oh, un wog ! » L’enfant n’apprend rigoureusement rien, parce qu’il ne parvient pas à comprendre l’intention du locuteur. Un bébé ne retient les mots que s’il comprend l’intention de celui qui parle.
  • Le contexte grammatical a de l’importance. Lorsqu’on lui dit : « Oh, le papillon », la présence de l’article « le » lui garantit que ce mot inconnu est un nom. C’est une metarègle qu’il a dû apprendre, il ne naît pas avec une connaissance innée des articles de toutes les langues. Néanmoins l’expérience montre que c’est un apprentissage rapide, dès 12 mois les enfants ont enregistré les principaux articles et mots grammaticaux de leur langue maternelle et les utilisent pour guider leurs apprentissages.
    Ils y parviennent parce que ces mots sont très fréquents, apparaissent devant de nombreuses phrases, presque toujours devant un nom. Le bébé commence par apprendre ses premiers noms, des mots familiers comme ‘biberon’ ou ‘chien’ aux alentours de 6 mois. Il repère ensuite que ces mots sont précédés d’un mot très fréquent, l’article ‘le’, il en déduit que tous ces mots font partie de la même catégorie, les noms et que celle-ci réfère souvent à des choses. C’est ce qui lui permet, lorsqu’il entent ‘le papillon’, de chercher un sens possible parmi les choses qui l’entourent plutôt que de le traiter comme un verbe ou un adjectif. Chaque épisode d’apprentissage renforce la règle qui elle-même facilite les apprentissage ultérieurs.
  • La règle d’exclusivité: un seul mot pour chaque chose. Cette règle dit qu’il est très peu probable qu’il y ait deux noms pour le même concept. Un mot nouveau fait donc, très probablement, référence à un concept nouveau. Avec cette règle, lorsqu’il entend un mot qu’il ne connait pas, l’enfant peut restreindre sa recherche de sens aux choses dont il ne connaît pas encore le nom et dès 16 mois il l’applique à bon escient. Tentez l’expérience: prenez deux bols identiques, l’un d’un bleu très banal, et l’autre d’une couleur inhabituelle. Dites à l’enfant ‘Donne-moi le bol crapité’. L’enfant va vous donner le bol qui n’est pas bleu, puisqu’il sait qu’il est bleu. Des semaines plus tard il se souviendra encore que ‘crapité’ fait référence à cette étrange couleur.
    Là encore cette règle renforce l’apprentissage mais il a tout d’abord fallu l’apprendre ou au moins la renforcer. L’expérience montre que les enfants de famille bilingue l’appliquent beaucoup moins que les autres, ils se rendent bien compte que maman et papa utilisent des mots différents pour dire la même chose. Les enfants monolingues, par contre, s’appuient fortement sur la règle d’exclusivité.

Bibliographie

  • Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines de Stanislas Dehaene